En termes de parfums, outre ma fixation sur le N°5 (ainsi que 19 et 22, mais ….) il y aussi Estée Lauder qui me fascine prodigieusement. D’autant qu’au point de vue européen, francophone plus particulièrement, malgré son impressionnante domination mondiale, on a l’impression de porter quelque chose de rare, limite niche, au vu du succès relativement confidentiel bien que croissant via le bouche à oreille plus qu’au moyen des campagne de pub, Lauder semblant avoir renoncer à conquérir le marché hexagonal tout entier voué à Guerlain, Chanel, Dior et consorts. Quand je dis Lauder, je parle plus du groupe puisqu’Aramis ou Clinique qui en sont des branches partagent allègrement les recettes de la maison mère.
Les parfums Lauder ont tous selon moi quelque choses de cinématographique. Je m’explique: Guerlain, c’est un accessoire de cocotte (pensez à Odette de Crécy) quelque chose de flatteur et sensuel qui rend belle et murmure sa petite chanson extrêmement flatteuse toute la journée à votre oreille et à celle de vos proches comme un prélude à l’amour. Chanel, c’est plus l’affirmation d’une personnalité par le truchement d’une œuvre d’art: c’est sublime, mais moins aimable et sympathique. Il y a des fan et il y a ceux et celle qui ont du mal avec ce coté cérébral, très Je, Je, Je… Les Lauder m’évoque plus des personnages de films: c’est un portrait, mais en format court, on n’est pas chez Proust: on ne montre qu’ un moment de la vie d'un personnage, dans une gamme d’émotions particulières et restreintes. Il doit être cerné rapidement, en quelques répliques bien senties et l’action doit être menée tambour battant pour le plus grand plaisir du spectateur, ce qui n’empêche pas la subtilité. Ajoutons une bonne dose de glamour: les parfums sont toujours étonnamment puissants et flatteurs et je n’ai connu un Lauder aussi opulent soit-il qui ne soit svelte (alors qu’un Shalimar, il faut bien le dire peut vous faire paraître 4 kilos de plus) ou qui n’allie sillage et tenue y compris quand il se veut frais et léger.
Youth Dew est l’original mais j’avoue ne l’avoir compris que tardivement en passant par ceux qui portaient son empreinte. Estée s’habillait en Dior mais bavait devant le succès de Chanel, retirée à l’époque, la femme qui avait donné son nom à un empire et qui continuait de régner par le biais de son increvable N°5. La formule magique, ce sera Youth Dew dont je ne parvient pas à comprendre la sortie et le succès dans l’Amérique des années 50. Avez-vous vu « Le facteur sonne toujours deux fois? » et bien, voila tout Youth Dew. Une petite ville, des gens frustes, une atmosphère provinciale et bien pensantes et soudain on découvre Lana Turner: chaussures compensées, longues jambes, mini short, lèvres laquées, chevelure platine… on comprend de suite qu’elle va semer le trouble et le désastre, entrainant de braves garçons dans les ravages de la passion et de la corruption.
De la verdeur et des fleurs pour une note cinglante et acerbe associée à une autre note capiteuse faite de baume et d’épice. (Pas de notes animale, on est dans une Amérique bien lavée, pas chez ces affreux français mal lavé et amateurs de moisissures!) Les deux liées, soudées mais cohabitant en restant distinctes. Je suppose que la note de départ acerbe fini par mourir en laissant le fond sexy seul, mais la tenue du parfum est telle que je n’ai jamais pu assister à sa mort, il est toujours temps de prendre une douche longtemps avant le crépuscule de Youth Dew. C’est étonnant et détonnant: ça évoque quelque chose de laqué, de ciré à la fois sombre et brillant. Tout Hollywood semble là comme pour un soir de première: Lana, mais aussi Rita dans le fourreau de Gilda et Marlene dans le trench de Manpower, etc. on dirait que toutes les fatales se sont réunies pour l’occasion…
Je le trouve très réussi, fascinant mais aussi dérangeant. À la limite du portable. À tester, peut-être à posséder même s’il réclame une bonne dose de courage pour être assumé.