lundi 25 juillet 2011

Sagan en croisière…

Avec la Femme Fardée, Sagan nous fait un peu sa version de la croisière s’amuse: dans ce pave (choses rare avec Sagan les gros volumes) tout le petit monde de Sagan s’embarque dans une croisière musicale grand luxe autour de la Méditerranée. A bord du Narcissus, des mondains, hommes d’affaires, parasites, gigolos, actrices arrivistes, musiciens de génie et divas inspirée, escrocs etc… en couple ou non. A l’arrivée, forcément, la distribution des couples aura un peu changé. Un gros volume et un traitement un peu diffèrent : ici, on s’intéresse à plusieurs personnages, plusieurs histoires. On est dans le roman choral et pas dans le duo ou le monologue.


Cassandre

Le ton est celui de la comédie légère, du roman de vacances pour commencer. On picole gentiment, un peu trop certes, mais Sagan est indulgente à l’alcool, on se moque un peu de la vulgarité des actrices à prétentions, due la naïveté de l’apprenti gigolo, de la cruauté maigre de la vieille mondaine qui règne sur son petit monde d’écervelés…  La femme fardée, c’est Clarisse, l’alcoolique, la belle héritière, la femme clown qui se cache derrière son maquillage, la jeune femme ridicule et fragile mariée au bel Eric qui la tyrannise en homme de gauche qui veut définitivement briser la bourgeoise. Quand on parle de Clarisse, Sagan montre la faille sous la légèreté, délicatement, poliment. Parce que ça ne se fait pas d’exhiber ses plaies en grand et de hurler « voyez comme je souffre ! » et peu à peu, les personnages se dévoilent, se révèlent attachants, humains, souffrant et angoissant.

Peu à peu, les intrigues se nouent, les gens se dévoilent, se rencontrent. Et je parle de rencontre au sen fort du terme en laissant de coté une idée d’eux même, des masques de pudeur, tout en restant saganesques. Comme toujours, le non-dit, le non-écrit, son très important chez Sagan, faisan appel à la sensibilité du lecteur plutôt que de lui mettre les points sur les I. On va au drame. On sent dès le début que des choses vont se passer, que certains seront sauvés et que d’autres ne s’en sortiront pas. On espère, on voudrait.

J’ai adoré relire ce roman. Je me suis attaché encore une fois aux personnages. J’ai ris, encore une fois, de leurs travers, de leurs ridicules. J’ai été triste aussi de leurs malheurs. De la bêtise de cette vie qui est la notre. Mais j’ai eu de l’espoir parce qu’il y a des moments de bonheurs aussi, de fort beaux moments, presqu’incongrus, un peu niais, terriblement « roman rose » mais il faut prendre le bonheur ou il est.

Encore une fois, Sagan cite Proust, parle de lui. Ça, évidemment, ça m’a beaucoup plu d'autant qu'elle s’empare aussi de certaines scènes de la Recherche et en propose sa propre version, son propre pastiche lors de moments de pure comédie assez jouissifs quand on s’aperçoit de la chose. Ce n'est pas la première fois que Sagan fait cela, mais, ici, c'est assez flagrant. Et c’est là que je me rends compte qu’avoir lu de bons écrivains aide à lire de bons écrivains, que lire est une drogue et qu’on en veut toujours plus.

Un bon Sagan, peut-être un peu facile, disons que ce n'est pas un des meilleurs, des plus profonds, probablement. Mais il reste idéal pour emporter avec soi en vacances parce que ça reste un sacré bon moment.

La femme Fardée, Françoise Sagan, 1981.
(disponible au Livre de Poche)

mercredi 20 juillet 2011

Je ne suis pas Égoïste

Le temps ne change peut-être pas tant les choses que notre façon de les voir…En 1990 Egoïste était un enchantement typiquement Chanel qui pouvait paradé au bras de la belle Coco, garçonne au longue jambe qui savait si bien arborer gouaille et paillettes dans un esprit terriblement "chic parisien" comme les japonais aiment le prendre en photo. Égoïste démarrait fraîchement, imposait son bouquet de fleur rapidement avant de s’alanguir en bois, le tout dominé par des épices, cannelle en tête. C’était très joli, délicieusement androgyne et il y avait un poil de sucre qui le rendait irrésistible bien avant l’air du bonbon hypercalorique cher à tant de maisons actuelles.


Et puis…

Et puis, j’ai connu Bois des Îles, si terriblement Chanel, si proche du N°5 en fleuri aldéhydé, si parisiennement exotique avec son joli santal peau de pêche. Subitement aujourd’hui, j’ai eu envie de ressentir cet Égoïste qui m’avait laissé un bon souvenir après que je sois passé à autre chose. Oui, il a quelque chose de Chanel, indubitablement, mais il est agressif là ou l’autre est assuré, il semble presque aigre, aigris, là ou Bois des Îles est toute douceur. L’Egoïste est du genre à faire l’amour en vitesse alors que la langueur de Bois des Îles prend tout son temps. Ou est la richesse de l’accord floral, la douceur du santal à effet de peau exotique ? Cet Égoïste-là n’est qu’un cadre dynamique et pressé ! Je reprendrai plutôt l’invitation au voyage et tant pis pour la modernité ! Je ne suis pas un Égoïste, c'est plutôt une bonne nouvelle, non?

Confirmation de la vendeuse qui me le faisait tester: à coté de l'exclusif, l'Égoïste ne tient pas vraiment le coup. Mais alors, pourquoi lui? Besoin de nouveauté et volonté de sortir un produit clairement labellisé "masculin" chez Chanel qui n'avait que l'ancien, mais joli, Chanel pour Monsieur. C'est donc cela être un homme? Durcir le ton?

François Demachy et Jacques Polges pour Chanel, 1990.

samedi 16 juillet 2011

Pas ce soir! (ou "je ne baise pas, j'ai mis de l'iris!")


A l'heure ou triomphe ce que l'une de nos internautes préférées appelle la "putasserie putassière", ou le moindre communiqué de presse fait forcément appel à des mots comme "révéler la sensualité" et autre niaiseries du même acabit qui semble limiter notre univers à l'exploration de la sexualité, j'ai envie de protester! Ce n'est pas une crise de puritanisme, non, pas du tout! Je n'ai rien contre le sexe, je ne suis pas hostile à la sensualité. Simplement, mon univers personnel ne se résume pas à cela et je suis un peu plus complexe que l'imagerie traditionnelle qui ne va pas au-delà du simple "je veux plaire" dans l'espoir de consommer. Et que ça me rapporte le jack pot dans certains cas. (Dernières campagnes Paco Rabanne qui touche vraiment le fond en terme de racolage, en plus de faire des parfums médiocre dans d'ignobles flacons.) Oui, dans ma vie, il y a de l'art, des idées, des convictions, etc... Et pour protester, je me repenche sur la famille la moins en chaleur de toute: celle de l'iris, fleur complexe, qui peut être toute douceur et sensualité, mais pas que... (Et que je ne prise guère dans les versions guerlinisées, en fait.)

"J'ai raison!"
Le N°19, c'est un peu le parfum originel du genre. Certes, il y en eu d'autres mais disparus ou méconnus, alors que celui-là est toujours présent. C'est le plus Mademoiselle des parfum Chanel, celui d'une vieille fille redevenue vierge qui aimait à discuter pendant des heures et ne souffrait pas de ne pas avoir le dernier mot. Il tire sa salve de galbanum et vous descend en flèche, impose son iris soyeux sans vous en laisser placer une et se réchauffe doucement. Autoritaire, chicaneur, il a pourtant un bon fond, c'est juste qu'il a toujours raison, toujours le dernier mot! Pensez à Katharine Hepburn face à Spencer Tracy dans Adam's rib. (Madame porte la culotte dans sa version française...) D'ailleurs, quand on a voulu monter la vie de Coco Chanel à Broadway, c'est à Hepburn que le rôle fut confié...
Le N°19 n'a rien contre la bagatelle, c'est juste qu'il passe beaucoup plus de temps à défendre ses opinions! N'hésitez pas à l'affronter de face, c'est comme ça qu'il vous respectera; Sans ça, il vous méprisera impitoyablement et vous n'arriverez à rien.

Dialogue intérieur ou "je t'ignore"
Iris Silver Mist de Serge Lutens est l'iris en majesté, celui qui se suffit à lui-même. Sa superbe vous ignore, sa complexité propre lui suffit, il explore sa richesse intérieur avec orgueil sans voir le reste du monde. Celui-là, c'est Elizabeth (incarnée par Cate Blanchett), indomptable dans sa blanche Albion, laissant l'univers se déchirer mais décidant pour elle-seule, réunissant tout le pouvoir dans ses blanche main, refusant le roi d'Espagne, regardant couler son Invincible Armada, laissant le pape trépigner...
Elle sait, nourrie de l'adoration de ses sujets, royale, unique, glorieuse dans son splendide isolement. Seule, si seule, mais si belle.
Porter Iris Silver Mist, c'est être soi-même, pêcher par orgueil. N'espérez rien de lui, adorez-le à genoux et il vous emmènera peut-être dans son voyage intérieur profondément nostalgique.

"Si vous aimez souffrir, vous allez être servis!"
Bas de soie, toujours Serge Lutens, est à la limite du sadisme. Si vous aimez vous prendre pour la cabotine Bette Davis, vous allez adorer. Comme elle, Bas de Soie gifle, à coup de galbanum, comme elle, il serre les lèvres avec la jacinthe, comme elle, son iris soyeux, même dans ses pires moments est d'une très grande classe! Voila un parfum qui adore distiller son venin, sait vous assassiner en trois phrase mais prendra plaisir à vous en asséner 15, histoire que vous ne vous releviez jamais, tout comme Bette!  Mais comme elle dans Little Foxes (la Vipère), il sait aussi se taire, rester silencieux, raide, incroyablement froid et dur, pour vous regarder vous débattre dans les affres de l'agonie. Attention, il tire sur tout ce qui passe à sa portée, aime contrôler les choses et, pour cela, dissèque, tranche dans le vif.

"Je ne suis pas celle que vous croyez"
Prada avec son Infusion d'Iris a frappé un grand coup: créer un parfum mainstream qualitatif digne des plus exigeantes niches! (Beaucoup de parfums soit-disant rares et exclusifs ne lui arrivent pas à la cheville!) Résultat, un grand parfum accessible partout dans le monde mais hautement qualitatif que ce soit en version originale ou en version homme. Il nous la joue charme discret de la bourgeoisie very hitchcockien. Élégant, racé, aimable mais certain de sa supériorité, il semble ne pas tenir le choc face aux hurleurs et aux vamps ravageuse. Pourtant à l'instar de Grace Kelly, son chic bourgeois, conventionnel et un peu hautain, se révèle troublant et obsédant. On pense l'avoir oublié, mais il revient au moment ou on ne l'attendait plus, alors qu'on s'est déjà lassé des bombasses... Sa perfection, sa retenue, sa façon de ne rien vous laisser espérer, sous ses airs bien comme il faut, sont finalement irrésistibles. Et souvenez-vous d'Hitchcock parlant de ses actrices et disant qu'il aimait "les dames, les vraies, celle qui se transforment en putains une fois passée la porte de la chambre à coucher..."
Méfiez-vous donc de son badinage mondain, de son apparente simplicité: il cache une vraie complexité sous son apparence lisse. Pensez Marnie la voleuse et ses refoulements, Vertigo et ses jeux sur l'identité, ou Grace Kelly aventureuse dans to catch a thief

Immaculé
S'il en est un qui est innocent, c'est bien l'Hiris d'Hermès: vierge de toute faute, il est l'iris d'avant la chute, une nymphe sortie du bois, vue et sans pudeur, parce qu'elle ignore le vice. Tout y est, la tige et la fleur pour un effet de nature terriblement aimable. L'homme ne l'a pas pervertie et elle vous contemple avec de grand yeux de biches effarouchée, sans comprendre le vice. Diane la protège. C'est Lilian Gish, l'une des premières superstars du cinéma, tout droit sortie d'un tableau préraphaélite qui régna sur le muet en éternelle vierge de conte de fée.

Tendresse
L'iris selon Goutal, l'Heure Exquise, si bien nommé est infiniment gracieux: son départ de galbanum est joliment vert, comme un jardin proustien, son bouquet complexe se fait léger et transparent, une rose jolie, bien élevée, rosissante, et l'iris est particulièrement soyeux, avec un soupçon de poudre, pas le maquillage des cocotte, non, la voilette des femmes pudique qui voilent leurs émotions à fleur de peau. Celui-là est complexe et sublimé: élégant, tout en tendresse, et maternel. Une maternité qui ne va pas sans douceur et sans une forme de sensualité, celle des caresses à l'enfant, des caresses au père. Complexe et romantique, il est sentiment par excellence, avec ce que cela peut comporter de force et d'intensité, avec un bon goût imparable et de l'esprit en prime. Penser à Norma Shearer dans Women de Cukor: fidèle, aimante, prête à se sacrifier, bonne au point qu'on pourrait la croire naïve mais sachant sortir ses griffes peinte de Jungle Red quand il le faut. Encore une fois, les Vamps n'ont qu'à bien se tenir, car il leur en coûtera toujours de se mesurer à l'iris!