Beth Ditto, cover de Love |
Regardez bien la nouvelle campagne de pub A Men de Mugler. Ça ne se remarque pas au premier abord mais le mannequin (Oscar Pistorius) est handicapé. Ses prothèses ne choquent pas du tout, on les remarque à peine. Coup de pub ou véritable intégration de la différence ? Il y a quelques années, McQueen avait fait défiler des handicapés et l’effet était assez désagréable, entre voyeurisme, exhibition de monstres, assez proche de la provocation gratuite. Pourtant, je ne pense pas que la démarche de McQueen était volontairement malsaine. L’époque n’avait pas été préparée. Dans le cas Mugler, il y a un univers qui se prète, la prothèse semble « naturelle » dans ce visuel. Et l’époque à (un peu, très peu, trop peu) changé. Beth Ditto s’est exhibée nue dans les magasine avec ses kilos en trop, imposant son physique hors norme. Des images dérangeantes, mais belles, qui nous ont appris que la beauté n’était pas dans les standards imposés.
Pour l’instant, la démarche reste isolée et excentrique. Coté couleur, ce n’est pas gagné non plus. Je pense à Naomi Campbell qui expliquait il n’y a pas si longtemps que certes, elle était devenue une star mais qu’elle avait beaucoup ramé parce que s’il n’y avait pas de problème pour les défilés, pour avoir de grandes campagnes, ce n’étais pas évident au début. Et elle précisait qu’elle savait que jamais elle n’aurait une campagne parfum parce que vous savez ce qu’on dit : les noirs, ça pue. Effectivement, on reste au standard de la belle blanche… Quand on pense qu’une maison comme Guerlain à fait de l’exotisme son fond de commerce avec Mitsouko, la japonaise, Shalimar, l’histoire d’amour en inde etc, on se demade pourquoi on ne voit pas des campagnes mettant en scène des indiens et une japonaise. Les mots de Jean-Paul Guerlain nous éclairent un peu sur la mentalité de ces vénérables maisons. On me dira que Guerlain, c’est Paris et la parisienne. Ok, mais Hillary Swank et Natalia Vodianova, elles sont vraiment parisiennes ? On reste dans un stéréotype et une norme…
Serge Lutens pour Shiseido |
Je pense que c’est que j’ai toujours aimé les visuels de Serge Lutens époque Shiseido parce qu’ils n’étaient pas normatifs. C’était des visions, des sources d’inspiration, mais absolument pas des modèles auxquels il fallait se conformer. Le travail réalisé était évident et n’essayais pas de passer pour réaliste. On ne savait pas à quoi ressemblait la fille en dessous. Il y a vait juste l’excès de beauté, quelque chose d’incompatible avec la vie quotidienne. A chacun de s’approprier l’image. La beauté selon Lutens était extrême mais pas culpabilisante, libératrice…
J’ai repensé en voyant tout cela au film Freaks, la monstrueuse parade, 1932, qui dépeint un petit monde ou chacun est un monstre. Dans cette foire aux monstres, seule l’écuyère est normale et belle selon les critères hollywoodiens. Evidement, c’est une garce, mais passons. Ce qui est frappant, c’est que dans ce film, tout le monde étant diffèrent, tout le monde étant un freak, tout le monde est finalement normal. Peut-être que nous devrions libérer le freak en nous. Pour un monde plus beau et meilleur. Peut-être que nous devrions aller jusqu’au bout de nos délires à la façon des images de Lutens, comme Beth. Excessifs, mais inspirés. Parce que la beauté, elle est dans le regard, celui de l’autre peut-être, mais aussi celui que nous posons sur nous même.
Et si on faisait tous comme Brigitte Fontaine?
"je suis vieille et je vous encule avec mon look de libellule"
(Prohibition, 2009)
Merci de cet article excellent. Félicitations!
RépondreSupprimerMerci à vous, vizcondesadesaintluc.
RépondreSupprimerJe ne pense pas mériter ces félicitations, mais elles me font extrêmement plaisir.
Je suis en plein dedans !
RépondreSupprimerGraphiste et maman d'une petite polyhandicapée, ce sujet me touche profondément...
Je suis actuellement dans une démarche de réflexion sur le sujet pour aboutir (je l'espère...) à un projet pour faire évoluer (un peu) les choses à mon échelle...
Merci je me sens moi seul
Si vous avez pu vous sentir moins seule un instant grâce à moi, j’en suis fort aise. La vie n’est déjà pas facile matériellement, physiquement, financièrement et il faut encore qu’on se la gâche par des histoires de regards, etc. C’est vraiment stupide. Bien sûr, c’est difficile d’avancer chacun dans son coin, c’est pour ça que c’est bien internet, que c’est bien de communiquer : pour voir que chaque petite initiative, chaque petite révolte en nous n’est pas isolée, que partout, même dans les infimes légèretés, il y a des raisons d’espérer.
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