dimanche 5 juin 2011

Jin Ping Mei: Lotus d'Or entre en scène

Le Jin Ping Mei tire son titre Fleur en Fiole d'Or du nom de trois de ses héroïnes. Lotus d'Or est la première à entré en scène. Voici comment tout commence...

Zhang Ziyi dans 2046
Wu Song rentre dans son pays natal discrètement après s'être attiré des ennuis alors qu'il était ivre. En chemin, le colosse tue de ses mains nues un tigre qui terrorisait la région de Claire-Rivière. Accueilli en héros dans cette sou-préfecture après cet exploit, il se voit nommé chef de la milice et retrouve son frère Wu l’Aîné. L’Aîné est le raté de la famille: pauvre vendeur de galettes qui n'arrive pas à joindre les deux bouts, avec un caractère à peu près aussi consistant que celui d'une serpillière, mais curieusement il est marié à Lotus d'Or, coquette aux multiples talents. (Son nom est une allusion à la taille et à la joliesse de ses petits pieds bandés. Très érotique pour l'époque.) Mais comment une union pareille se peut-elle?

A 9 ans, Lotus d'Or, déjà très jolie, a été vendue à la mort de son père au Palais du commissaire impérial ou elle a appris la musique et le chant. "Elle savait aussi fort bien se maquiller, se coiffer, s'habiller..." A la mort du commissaire sa mère l'a réclamée et revendue à la famille des Zhang. Le maître avait une épouse "difficile" dame Yu (comprenez qu'elle ne voulait pas lui laisser avoir d'autres épouses) qui ne lui avait pas donné d'enfant, il a donc prétendu vouloir une fille à chérir, mais n'a pas tardé à mettre Lotus d'Or dans son lit charmé par "son visage au teint de pêche, ses sourcils arqués comme le premier croissant de lune, sa taille fine aux courbes ravissante." Dame Yu, point idiote s'est aperçue de la chose et Zhang s'est empressé de marier la belle à son locataire Wu l’Aîné. Dans le seul but bien sûr de continuer à fréquenter Lotus d'Or. A la mort de Zhang, sa veuve, définitivement pas naïve, s'est empressée de jeter le ménage à la porte...

Vous comprenez maintenant le pourquoi de l'union du benêt et de la bombasse. Évidemment le mariage se passe mal car " le bonheur de se presser contre le jade onctueux ne saurait échoir au caillou stupide" chante joliment Lotus d'Or à sa fenêtre. La belle enrage, n'a de cesse de se faire admirer des hommes. Lorsqu'arrive le beau-frère, elle l'invite à loger chez eux, lui fait des avances répétées, toujours plus provocante, "exposant sans vergogne un peu de sa délicieuse gorge, ses chignons vaporeux à demi défaits ..." En vain, l'homme est honnête, ne cédera pas à ses avances. Lotus d'Or brouillera donc les deux frères et enverra Wu Song à l'auberge. Wu l'Aîné, son mari, quand même pas idiot au point de ne se rendre compte de rien, tentera de la garder enfermé mais Lotus d'Or se poste à sa fenêtre, à l'abri d'un store, chante, exhibe ses petits pieds...

Le tableau du mariage et de la condition de la femme à l'époque ne fait pas nécessairement rêver et la frustration de Lotus d'Or se conçoit aisément, préparant la voie à toutes les débauches et à toutes les infamies. Il est clair que ce roman ne sera pas celui de la vertu inébranlable. Lotus d'Or ne préfigure pas la Justine de Sade, plutôt sa Juliette. Il semble qu'a l'origine de tous les maux, on trouve l'argent et le plaisir de quelques riches car si le sort de Lotus d'Or n'est pas enviable, celui de Wu l'Aîné ne l'est pas plus.

Le style est très lisible et le fait que le texte soit entrecoupé de morceaux de poème ou de chant est franchement plaisant car ces fragments s'intègrent très bien à l'ensemble. La lecture est vraiment fluide et les notes, si elles sont utiles, ne sont pas indispensables: on peut franchement lire d'une traite en suivant et en comprenant l'histoire. Les scènes de séduction de beau-frère relèvent presque de la comédie et  on s'amuse de  voir la vamp torride essuyer échecs et rebuffades: Qui a dit qu'un classique était forcément sérieux et ennuyeux? Les allusions sexuelles ont recours à des métaphores qui me semblent hautement poétiques et jolies, maintenant, peut-être bien, probablement d'ailleurs, que pour un chinois du XVIème siècle, c'était assez cru comme grivoiserie.

Vous pensez savoir ce qui va arriver? Rendez-vous bientôt pour savoir si le destin sourira à Lotus d'Or, la mal mariée.


Jin Ping Mei, Fleur en Fiole d'Or, traduction d'André Lévy, disponible en Folio et dans la Pléiade

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