L'actualité, la nouveauté, la dernière tendance... Il n'y en a que pour cela. Il faut faire du neuf. Et il faut parler du neuf, porter du neuf. Cette tendance nous vient directement de la mode qui a tant à voir depuis Chanel et son N°5, une mode prétexte à vendre des parfums, des parfums marchandises plus que des oeuvre d'art, des parfums qui pourtant sont parfois, c'est le cas pour la maison Chanel, des piliers d'un style, les éternels, les intemporels qui défient la mode et le temps. Il fut un temps ou un parfum pouvait s'installer et se vendait indéfiniment, soutenu par d'habiles campagnes publicitaires qui entretenaient le mythe. Un temps ou le parfums finissait même par éclipser la mode. Hélas les lancements se multiplient et tous, nous nous précipitons pour sentir, frémissant à l'idée de sentir le nouveau X ou Y, surtout si c'est un peu avant les autres, oubliant joyeusement les merveilles qui traînent parfois dans les rayonnages des boutiques.
Sentir le nouveau Lutens. La belle affaire! La grande affaire! Qui occupe tout le monde en ce moment. Il faut gloser autour de la prose de Serge Lutens. Ce n'est pas un lancement, c'est une mise en scène avec des éléments de psychodrame en coulisses, une hystérie de service de presse qui contaminent fans et rédacteurs, un emballement façon tempête dans un verre d'eau qui semble oublier qu'il ne s'agit "que" du lancement d'un nouveau parfum. Un parfum de plus. On oublie de penser, on s'empoigne plutôt que de sentir et se faire un avis. Personnellement, je n'ai pas envie de cela. J'ai pris l'exemple de Lutens parce que j'aime vraiment beaucoup son travail, sa vision. Je préfère cet été redécouvrir des choses anciennes dont tout le monde a déjà parlé, des chapitres qui semblent clos.
Cet été, j'ai redécouvert Un Lys, un parfum qui date de 1994. Un parfum tout simplement merveilleux dont j'ai envie de parler parce qu'il faut aller le sentir... Un Lys est tout illusion, transformation, un jeu sur l'idée de fleur blanche et pure. Un Lys démarre sur des notes de lilas, très vite, un peu vertes, transparentes, comme portées par une brise de printemps. Rapidement, on s’aperçoit que le muguet a pris la place du lilas et on se demande si ce n'était pas un songe. La fleur de mai est la, capiteuse, veloutée, souriante: une idée de bouquet artistement composé, un bouquet romantique et joyeux à la fois. Un bouquet séduisant pour moi qui n'aime pas le muguet. Ensuite apparaît le lys: pur et blanc, majestueux, satiné. L'idée même de la fleur. Un lys porté par un soupçon de vanille. Ce parfum est une aura de bonheur. Un parfum de grande qualité qui ne cède absolument pas à la facilité du genre floral... Un Lys est hypnotique, merveilleusement beau dans la chaleur de l'été.
Je n'ai pas envie, moi, de parler de Vitriol d'Oeillet, celui-là ne m’intéresse pas , et les mines extatiques des vendeuses répétant qu'il s'agit d'un "oeillet énervé" quand je dis que l'ouverture poivre me donne envie de leur rire au nez. Le poivre, je trouve ça déjà vu. Le poivre, je ne l'aime qu'en cuisine. Et l'oeillet, je l'aime bien, mais dans ce parfum, je me contente de le chercher. Alors, non, non et non.
Et chez Chanel, pour faire du neuf avec de l'ancien, alors que tout les efforts sont depuis des années centrer sur le N°5, on décide de lancer un "nouveau N°19, parce qu'il faut relancer la machine, faire parler de soi, faire neuf, comme l'a si bien fait Dior avec son infâme chérie. Et on nous parle de poudre et d'Iris, de nouvelle version de la formule remise au goût du jour et... Et pourquoi pas? Mais le résultat? Oui, c'est neuf, mais bravo pour la nouveauté: un peu de vert, mais très vite, il faut être rapide pour le saisir, ensuite l'iris... L'iris, vraiment? une vague sensation, moins présente que dans l'originale, juste plus rapide! Et l'effet poudré. Très. Terriblement cosmétique entre l'Infusion d'Iris de Prada et Ombre Rose, ce n'est pas déplaisant, un peu trop discret mais pas vraiment intéressant. Le nouveau 19 est la transformation d'un parfum altier et intelligent en une petite chose proprette, sans relief, qui a l'air plus vieillotte que la version originale 40 ans après. Vraiment, non, je n'ai pas envie de féliciter les équipes Chanel, ni de crier Bravo c'est neuf.
Mais pourquoi voulons nous toujours du neuf? Pourquoi ne prenons nous de plaisir à ressortir d'anciens flacons de nos armoires? J'aime beaucoup retrouver d'anciens parfums que j'ai aimé dans ma jeunesse, des parfums âgés que j'ai porté alors qu'ils étaient sorti depuis longtemps, des parfums que j'ai senti sur d'autres. J'aime dénicher ces parfums qui ont connu leurs heures de gloire, qui ont pris la poussière, qui sont devenus rares. Pas nécessairement précieux. Pas nécessairement plus beau. Je ne boude pas la nouveauté par principe; elle donne de très belles surprises, de vraies émotions aussi. Simplement, je ne lui voue pas un culte, je ne luis court pas après. Chaque chose en son temps. Et j'ai besoin de temps. Le parfum demande du temps, c'est une rencontre. Une rencontre qui parfois prend beaucoup de temps, des mois, des années.
Le mode et le parfum ne sont pas les seules domaines dans lequel on observe ce phénomène : du high tech à l'édition, la tendance est la même partout. Probablement signe de notre époque, ou les progrès se sont accélérés comme jamais depuis ces 50 dernières années...
RépondreSupprimerEn ce qui concerne les parfums, je me définirais comme avide de découvertes. Qu'il s'agisse de nouveautés ou de classiques, voire de parfums oubliés, je promène mon nez vers ce que je ne connais pas. Et souvent les anciens m'attirent plus que les bataillons de nouveautés parmi lesquelles le tri est fastidieux pour faire ressortir ceux qui vont valoir le coup.
Tu soulignes très justement l'importance du temps : oui, il faut du temps pour découvrir un parfum, s'apprivoiser, apprendre à se parler... le coup de foudre n'est pas toujours la règle. J'ai eu un coup de coeur pour Habanita il y a plus de 20 ans : je le porte depuis moins de 3 mois.
Mais le temps, c'est aussi celui qui trie le bon grain de l'ivraie : c'est le temps qui permet aux chefs d'oeuvre d'émerger. Peu de gros nanars y survivent. En matière de parfums comme d'autres créations.
Ainsi, parmi les ancêtres qui trônent dans les "rayons de bas étage", figurent peu d'infréquentables. Un petit village qui résiste à l'invasion des clônes, des insipides. Et qui se voit parfois enrichi de merveilles.
La parfumerie est heureusement plus un patrimoine qu'une actualité !
Dans le High Tech, on peut encore comprendre, il y a l’excuse innovation. Bien que la plupart des innovations me passent par-dessus là tête et je ne vois toujours pas par exemple en quoi un IPad n plus de mon portable changerait radicalement ma vie…
RépondreSupprimerDans l’édition, je trouve que le problème est sensiblement diffèrent : d’une part les classiques se vendent toujours bien, en partie soutenu par l’école et ce ne sont pas les commentaires imbéciles de Nicolas Sarkozy sur La Princesse de Clèves qui vont y changer quelques chose, Dieu merci. Mais effectivement, le nombre de sortie empêche vraiment certains auteurs d’émerger… Il y en a trop, chaque année. Maintenant, comment trier, choisir, réussir à déterminer ce qui doit être publié et ce qui n’en vaut pas la peine ?
Mais au moins, les classiques sont soutenus par l’école, expliqués, de même que dans les musées on éduque aux œuvres anciennes…
Ce n’est pas le cas en parfum. Le parfum est totalement lié à la mode, la tendance, l’engouement passager. Rien ne justifie rationnellement une disparition ou des ventes. C’est vraiment le goût du public qui décide. Un goût influencé par les campagnes de pub et les lancements répétés qui font qu’on a plus le temps de rien. Un nouveau Lutens est le dernier Lutens à peu près 6 mois. C’est fort peu. Boxeuse sorti il y a un an seulement fait déjà figure de classique installé de la marque (ce qu’il ne peut être devenu en un an) ou de dinosaure aux yeux de certains parce qu’il leur parait déjà si lointain, tant d’eau ayant coulé sous les ponts depuis… Je trouve ça un peu effrayant. Heureusement qu’il y a des gens comme nous qui, tout en étant incapables d’être fidèle, font des efforts pour dénicher les choses oubliée en bas des rayons, faire vivre encore un peu les parfums du passé.
Le temps tris le bon grain de l’ivraie, je suis d’accord, mais seulement en partie…Le marketing décide aussi. Le meilleur parfum, mal géré, non mis et remis en valeur est destiné à disparaître. Combien sont déjà devenu introuvable qui avait pourtant leurs amateurs ? Amateurs qui sont parfois passés à autre chose un instant et qui voulant revenir à leurs anciennes amours découvre que… Parce qu’un parfum ancien ne survit parfois que par ses fidèles. Combien de parfums Lanvin sont disparus par exemple ? Et je me demande si Arpège va encore tenir le coup longtemps… Parce qu’il faut faire du neuf, je comprends, mais pourquoi ne plus soutenir un produit ancien ? Pourquoi pas une petite campagne de pub Arpège. Chanel n’a jamais cessé la promo du N°5 et c’est payant. Pourquoi ne s’en inspire t’on pas plus ?
Pourquoi ? Peut-être parce qu'on privilégie une rentabilité à court terme, que les tests consommateurs montrent un attrait limité pour les classiques, parce que, et j'en reviens là, on est dans une culture /époque qui valorise la nouveauté pour la nouveauté. Le parfum reste avant tout une industrie, et je suis d'accord avec toi, le fait qu'elle soit liée à celle de la mode n'arrange rien.
RépondreSupprimerTout comme toi je déplore la disparition de chefs d'oeuvres... Tu parles du n°5, c'est un bon exemple de classique "survivant", mais il a un statut de mythe, comme Shalimar, et très peu de parfums y accèdent.
Je ne sais pas s'il serait plus payant pour les industriels de la parfumerie de valoriser leurs classiques que de sortir deux nouveautés par an, je ne connais pas suffisamment les ressorts de ce marché.
Pour en revenir au parallèle avec l'édition, toute maison qui se respecte travaille son fond tout comme ses nouveautés, le premier étant le garant de sa pérennité.
Le statut de mythe, ça s’acquiert et ça se travaille. Joy était un mythe, plus personne ne le connais. Le succès de Poison aurait pu en faire un mythe, les déclinaisons l’ont laminé. Savoir ce qui est payant… Grande question. Chanel avait fait le choix de miser sur son fameux 5 au point que les Wertheimer ne voulaient pas qu’elle revienne à la mode pour ne pas lui faire de l’ombre. Mais au total, c’est payant parce que le N°5 est un énorme succès encore maintenant et que tous les autres produits de la marque profitent de son aura. Même s’il y a des trucs moches, on dira « Bon, Bleu : berk ! Mais Chanel c’est N°5 avant tout »
RépondreSupprimerEvidemment, il n’y a pas que des parfums culte, mais en les travaillant un peu : l’Air du Temps, Femme, Arpège, Opium, etc peuvent faire le fond de commerce d’une maison. Et par travailler, j’entends promouvoir, entretenir, pas honteusement balafrer, défigurer en reformulant. Et surtout, je crois que j’éviterais les flankers : payant à court terme mais dangereux à la longue : ça banalise terriblement les produits…
Quant à la nouveauté pour la nouveauté, c’est le fond du problème et c’était le but de l’article de dire que « non, c’est pas possible ! » sauf que comme tout le monde, j’y cède parfois et je me retrouve avec un truc neuf qui me plait moins qu’une vieillerie. Et je m’en veut. Et je me dis que je suis con… Mais c’est le problème du snobisme et de la facilité en général, car je pourrais dire aussi que parfois, je me retrouve avec un truc exclusif de niche qui me plait moins qu’un bon gros mainstream… (SI ! ça arrive aussi !)
La raison d'être des nouveautés incessantes dans le monde des parfums.
RépondreSupprimerC'est justement ce dont je parlais au gérant d'une parfumerie à Madrid il y a à peine une semaine. Il m'a exppliqué: les parfumeries paient très cher pour avoir les concessions, ce qui leur permet de vendre des parfums de telle ou telle marque, d'autre part elles sont obligées d'acheter un nombre minimum de nouveautés et de flankers et également obligées de les payer comptant, de façon immédiate, n'ayant pas de possibilité de payer à crédit, ce qui fait que quand la fin juin ou la fin décembre arrivent les marques peuvent atteindre le chiffre d'affaires qui avait été prévu en debut de l'année. Telle est la situation en Espagne (je ne sais pas si en France il en est de même) mais cela suppose un gros chiffre d'affaires pour des marques telles que Dior, Hermès, Guerlain ou Chanel. La situation des Sephoras ou par exemple de El Corte Inglés n'est pas exactement la même, chez El Corte Inglés (l'equivalent des Galleries Lafayette + Le Printemps) les firmes tout simplement louent un espace ou corner et El Corte Inglés ne se tient pas responsable des pertes ou des vols, ce sont les maisons elles-mêmes qui vendent leurs produits de beauté ou leurs parfums.
En ce qui concerne le numéro 19 poudré, IL A ETE DISPONIBLE en Espagne et en Italie alors qu'en France il n'était pas encore sur les rayons, encore le chiffre d'affaires!!!, en tout cas je suis complètement d'accord avec vous, il vaut mieux révisiter le numéro 19 classique, ce flanker ne vaut vraiment pas le coup.
Merci de cet article excellent. A bientôt.
Merci de ces précisions bien intéressantes.
RépondreSupprimerJe suis bien certains que les petites boutiques ne doivent pas avoir la vie belle face au compagnie, c'est évident qu'on ne leur livre que des lot complet et qu'il est impossible de recevoir une livraison de Miss Dior sans prendre son infâme flanker, je n'ai hélas pas de doute...
Pour avoir parler avec un vendeur de parfums de niche, la situation n'est pas mieux que dans le mainstream, certaines marques étant vraiment terriblement exigeante, voulant des corners particuliers en boutique pour ne pas se mélanger aux autres, voir carrément une séparation qui fasse "boutique séparée." En tous cas, c'est comme ça en Belgique. Ce genre de chose a du s'aggraver avec internet qui permet de se passer du revendeur, tant pis si le client doit se passer des conseils d'un vendeur compètent. (Après tout, tant qu'il achète, n'est-ce pas?)
Il faut quand même dire qu'avec la crise économique, pour la première fois, les ventes de parfums ont baissé en France il y a deux ans. Ce genre de chose devrait peut-être pousser les marques à la réflexion.
Et merci de m'avoir fait penser à El Corte Ingles, c'est un magasin que j'adore lorsque je vais en Espagne. (Ce qui est assez rare, Hélas)Je passe des heures dans les rayons cosmétiques et parfums à regarder l'offre qui est quand même pas mal différente de chez moi!